Envolée sensuelle
Envolée sensuelle
Il y a, quand on voyage un peu trop, des choses qui disparaissent, des sentiments qui s'amenuisent, des perceptions qui changent. Le vol en avion, par exemple, finir par revêtir toute l'excitation, l'incommensurable charme, l'indéfinissable liesse du... tour d'autobus.
Ha! L'exaltation de l'autobus, ailé ou pas! Ce décor sublime, ce choix subtil de matériaux fins, ce délicat agencement de couleurs, douce juxtaposition de rouge pétant et de bleu kosséça chez Air France, méli-mélo de vert sur vert sur vert sur vert sur vert sur vert sur vert chez Aer Lingus, explosion de rouge mal-de-tête chez Austrian Airlines, rien n'est trop beau! Allez hop, les doigts dans les yeux ne feraient pas plus mal! Joie.
Mais pourquoi n'exciter qu'un seul sens alors qu'il n'y a qu'un pas à franchir pour combler, pour sursaturer en fait, le sens du toucher? Soit! Que ce pas soit franchi! Qu'il devienne arabesque, triple salto, quadruple périlleux arrière à grands renforts de polyester, de fortrel, de fibre DuPont d'avant-garde, ou de véritable fausse imitation de simili-vinyle façon cuirette made in Taiwan!
Ha, la volupté d'une main effleurant un appuie-tête façon fauteuil semi-tricoté quasi-pied-de-poule de sous-sol nord-américain des années '70! Ha, l'extase d'un pied explorant du bout de la chaussette les surprenants mystères du mur-à-mur avionesque! Ha, l'intensité d'un contact soudain, quand les doigts de l'hôtesse (testiculée ou pas) effleurent ceux du passager, lui transmettant la décharge d'électricité statique du millénaire! Ha, la volupté d'une tiède gouttelette glissant doucement dans un sillon fessier vers l'élastique mais hermétique chaleur d'une assise en vinyle!
Mais pourquoi ne pas aussi stimuler l'odorat pendant d'interminables minutes, en laissant flotter cette merveilleuse odeur de poulet au kérosène, de viande-mystère au voisin d'à côté ou de poisson générique au plastique chauffé, pendant qu'on ignore savamment le client ou, ô classe, qu'on lui propose un Scotch non-écossais, un Bloody Mary approximatif ou une bière française! ;)
Quant aux autres sens, ne restera que le goût à stimuler, les oreilles étant de toute façon bouchées pendant la moitié du vol...
Roulement de tambour et écran de fumée, faisons place à la magie culinaire, alors que le poulet au kérosène se révèle être un poisson -comme le passager d'ailleurs- et que l'appétit de ce dernier, lui, agite brièvement un mouchoir, verse une larme, et s'évapore comme par enchantement. :)
C'est que c'est un art, môssieur, de produire un repas complet pour moins de 2 euros... surtout quand on le facture dans les 1000 euros! Hmmmmmm.
Heureusement, le verre de Château l'Infâme ou de Clos de Blanchard servi en accompagnement aura tôt fait d'anesthésier, que dis-je, d'exterminer les papilles du passager-gourmet, qui pourra ainsi ingurgiter le plat du jour sans trop de souffrances.
Bon appétit!
vendredi 2 avril 2004