Clivage et schizophrénie
Clivage et schizophrénie
Rive gauche ou rive droite?
Un midi ensoleillé, alors que, fièrement planté debout à Place du Québec, je contemplais l'église Saint-Germain-des-Prés, la foule cosmopolite et estudiantine du quartier et l'intéressante fontaine de Charles Daudelin, je me suis interrogé sur ce clivage digne des plus belles années de la rivalité Canadiens-Nordiques*.
N'est-ce qu'une simple transposition de l'obnubilante, lancinante et très frônçaise scission entre la gauche et la droite de l'échiquier politique, ou n'est-ce plutôt qu'un dada de citadins en mal d'un véritable débat? Entre la rive gauche qui fait office de dépôt de la culture et de la création, et la rive droite qui se targue de ses richesses et de ses « bonnes familles », où donc se trouve donc le Parisien pur beurre?**
J'ai donc quitté l'Embâcle de Daudelin pour prendre le pouls de l'endroit. Je dois le dire, Saint-Germain-des-Prés déborde de charme. Celui de ses étudiants (tiens, je vieillis, moi!) comme de ses boutiques, de ses cafés comme de ses habitués.
Mais vous savez quoi? J'ai fini la journée en bon Québécois, ambivalent, ni rive gauche, ni rive droite, par un superbe repas nocture sur la Seine! :)
* Non, avides lecteurs Frônçais, cela n'a rien à voir avec d'éventuelles tensions entre le Canada et la Scandinavie, mais plutôt avec les légendaires matches de hockey entre Montréal et Québec. Je vous expliquerai autour d'un verre de rouge.
** Ça, c'est comme un Québécois pur laine, mais en plus cholestérogène.
Français ou Anglais?
Le bon Québécois que je suis, donc, se réclame, comme tant d'autres, d'origine Française. Et en Amérique du nord, ça se voit, ça se sent, ça se sait. Sur les terrasses comme à table, au volant comme au lit, dans l'humour comme dans le tour de taille.
Je me souviendrai d'ailleurs toujours de "Red", un homme d'affaires de l'Ouest canadien qui, au moment de se poser à Québec, avait appelé sa femme de l'avion pour lui dire que « It's already different, you can feel it! It's amazing! You wouldn't believe it! ». Red avait un peu bu, soit, mais il mettait des mots sur une des facettes de la dualité Québec-Canada.
Mais une autre réalité m'a frappé de plein fouet quelques années plus tard: alors que Paris et ses habitants m'insupportaient au point de maudire la France entière, Londres et la parcelle d'Irlande que j'ai visitée ont été à la fois surprenantes et agréables.
Choc numéro 1: l'architecture. Les bungalows de la banlieue de Cork étaient les bungalows carougeois de mon adolescence. Mais exactement les mêmes!
Choc numéro 2: la bouffe. Les Anglais, contrairement aux Français, déjeunent salé. Oeufs, saucisses, bacon et pommes de terre, introuvables le matin en France, sont la norme au Royaume-Uni, avec en prime le saumon fumé en Irlande! :) Oh, bonheur et contentement!
Choc numéro 3: les gens. Aborder qui que ce soit à Paris relève du défi. Il y aura quasi-inévitablement jeu de pouvoir ou joute verbale. Il y aura, probablement par pur réflexe, une mise au défi passant trop souvent par une fausse condescendance. Frustrant. Épuisant. Déconcertant. J'ai pu, par contraste, demander un renseignement à des badauds londoniens et voir ceux-ci m'inviter à prendre une Stout (et deux, et trois, et quatre!) avec eux.
La question s'est alors posée pour la première fois: suis-je plutôt Français, ou plutôt Anglais? C'était il y a sept ou huit ans. La question se pose encore...
Frog et Rosbif
Les Anglais n'aiment pas les Français, les Français n'aiment pas les Anglais, et les uns appellent les autres les « Frogs », alors que ces derniers appellent les premiers les « Rosbifs ». C'est la faute à Jeanne d'Arc, si j'ai bien compris. ;)
Moi, j'aime le Frog & Rosbif, ce pub anglais situé à 3 minutes de chez moi, et je m'y sens ma foi fort bien.
Pourquoi?
Pour ses bières maison, véritables rédemptions après avoir goûté les bières françaises. Pour la InSeine, la Dark de Triomphe, la Parislytic et la Natural Blonde, qui font sourire avant même y avoir gouté, et qui appellent la béatitude quand on s'y trempe les lèvres;
Pour ses nachos garnis, introuvables ailleurs à Paris, qui permettent de patienter jusqu'aux heures (trop) tardives des repas parisiens;
Pour son personnel, Anglais pur mouton-à-la-gelée-de-menthe*, agréable et pince-sans-rire, souriant et coopératif;
Pour sa carte fidélité, qui fera de moi un alcoolo (comme si c'était pas déjà fait!); pour sa clientèle, je-m'en-foutiste et bigarrée; pour Never Gonna Give You Up de Rick Astley qui me force à rester juste au moment où j'allais partir; pour American Pie, version originale, qui m'a forcé à expliquer à Lwac que non, Don McLean n'a pas repris une chanson de Madonna!** :)))
Merci, Frog! Merci, Rosbif! Puissiez vous cohabiter plus souvent comme en ce sublime point d'eau! :)
* J'ai rien trouvé d'autre pour évoquer le « pur laine » des Québécois et le « pur beurre » des Parisiens! :)
** Pour une fois que quelqu'un lui aura appris quelque chose, celui-là! ;)
lundi 7 avril 2003